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Des groupes de niveau en violation de la Convention internationale des droits de l’enfant

Discrimination, non respect de la dignité des enfants : la création de groupes de niveau au collège, tels que prévus par l’arrêté publié en mars 2024, contreviennent à la Convention internationale des droits de l’enfant, selon l’ONG DEI-France.

La nécessaire lutte contre l’« échec scolaire » pourrait faire l’unanimité dans un pays démocratique. En ce sens, la création de « groupes de niveau », ou « groupes de besoin », proposée par le gouvernement Attal pourrait être saluée dans cette lutte contre l’« échec scolaire ». Une configuration du groupe adapté à une pédagogie ciblée sur la difficulté scolaire permettrait une aide spécifique à chaque élève en fonction de ses besoins.

Cela passerait par des groupes à effectif réduit. Or, selon l’arrêté du 15 mars du ministère de l’Éducation nationale, un effectif de vingt-quatre élèves chez les plus faibles contre vingt-six chez les plus forts sera un effectif réduit pour les premiers ! Aucun complément budgétaire n’accompagne cette réforme. Ainsi, les élèves vont être répartis selon leurs résultats scolaires dans des groupes de même taille que le groupe classe.

Séparatisme et discrimination

Cette proposition se transforme donc en séparatisme des élèves en fonction de leurs résultats scolaires. Dans sa mise en œuvre, elle est alors contraire à l’article 2 de la CIDE (Convention internationale des droits de l’enfant) : « Les États parties prennent toutes les mesures appropriées pour que l’enfant soit effectivement protégé contre toutes formes de discrimination ou de sanction motivées par la situation juridique, les activités, les opinions déclarées ou les convictions de ses parents, de ses représentants légaux ou des membres de sa famille. »

Ceci est d’autant plus inquiétant que les études internationales montrent que le système scolaire français est l’un des plus discriminants de l’OCDE : l’origine sociale de l’enfant prédétermine sa réussite scolaire. Le regroupement des élèves de même niveau scolaire constitue alors de fait une discrimination sociale institutionnalisée.

Cette mesure par son séparatisme renvoie aux enfants l’image de leur résultat scolaire, et ainsi peut encore plus les fragiliser dans leur parcours scolaire et dans leur construction personnelle. En ce sens, elle est contraire à l’article 28.2 de la CIDE : « Les États parties prennent toutes les mesures appropriées pour veiller à ce que la discipline scolaire soit appliquée d’une manière compatible avec la dignité de l’enfant en tant qu’être humain et conformément à la présente Convention. »

L’évaluation est une opération à risques, car l’attribution de valeur touche à la dignité. En ce sens, l’évaluation des connaissances et des compétences des élèves doit être formatrice afin de créer chez eux une dynamique positive pour la construction de leur parcours scolaire. Au contraire, l’évaluation à des fins de tri pour constituer des groupes maintient la constante macabre1 et risque de renvoyer une image négative d’eux-mêmes au plus en difficulté. Rappelons que les classes visées cette année, la 6e et la 5e, concernent des enfants de 11-12 ans.

La responsabilité l’échec

La thématique des inégalités scolaires se doit d’être au cœur du débat démocratique. L’approche qui consiste à substituer progressivement l’« échec scolaire » à la « difficulté scolaire » tend à imputer à l’élève lui-même la responsabilité de son insuccès ou de sa réussite. Elle procède d’une mise en cause individuelle, là où l’interrogation collective semble la plus pertinente.

Le séparatisme scolaire des groupes de niveau relève d’un déni des dynamiques résultantes de la mixité sociale et scolaire ou encore de la coopération entre pairs. Les effets de pairs sont positifs lorsque le niveau scolaire moyen est élevé. Ainsi un élève progresse davantage lorsqu’il est scolarisé avec des élèves moyens ou bons. À l’inverse, lorsque les élèves sont globalement faibles, les effets de pairs sont le plus souvent négatifs.

Or, le système scolaire français renforce structurellement les inégalités sociales. Le type d’établissement (privé / public hors REP / REP) marque très nettement les compétences des élèves. Au lieu de trier les élèves, une politique d’éducation juste devrait interroger cette ségrégation qui nuit aux bénéfices attendus d’une dynamique de groupe.

Démocratisation en trompe-l’œil

Les groupes de niveau, c’est une démocratisation en trompe-l’œil, un refus de questionner la politique publique d’éducation. C’est la stigmatisation des élèves en difficultés scolaires et l’abandon de la promesse républicaine d’égalité du collège unique mis en œuvre en 1975. La lutte contre le décrochage scolaire interroge fondamentalement les principes de l’école et en fait une question éminemment politique.

DEI-France (Défense des enfants international) s’inquiète de la dynamique de fond contre les enfants en situation difficile, comme ici pour leur niveau scolaire.

Françoise Briand
Secrétaire générale de DEI-France

DEI-France est la section française de l’ONG Défense des enfants international fondée en 1979. Celle-ci a contribué grandement à l’écriture de la Convention des droits de l’enfant et s’est donnée pour mission d’en contrôler le respect par les États parties, dont la France, qui doit défendre périodiquement son action devant le Comité des experts de l’ONU. DEI a participé à l’audition de la France en 2023 par le Comité des droits de l’enfant des Nations-unies, qui ont émis des recommandations.
https://www.dei-france.org

À lire également sur notre site :
Groupes de niveau : « C’est vraiment aux équipes pédagogiques de s’approprier le texte », entretien avec Alain Boissinot
Les groupes de niveau, une vieille histoire, par Jean-Michel Zakhartchouk

Alerte sur les groupes de niveau, par Gwenael Le Guével


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Notes
  1. Voir « En finir avec la constante macabre », entretien avec André Antibi, Économie et management n° 152, Scéren-CNDP, juin 2014. https://cdn.reseau-canope.fr/archivage/valid/N-1786-13217.pdf.